« Cahier d'un retour au mois de mai » | Par Thierno DIOP

Mes souvenirs de la présidentielle de 1988 ne sont pas fameux. Ma conscience politique était alors à la portée d’une sénilité précoce. Je me rappelle juste avoir assisté au meeting du candidat Abdoulaye Wade à la place dite Batamba à Ziguinchor ; je me rappelle également ces « cabines téléphoniques » saccagées à hauteur de la place dite SONADIS à Boucotte-Ouest au lendemain du scrutin. J’ai appris plus tard qu’il s’agissait d’un contentieux post-électoral.

Cependant, j’ai une plus claire conscience de la présidentielle de 1993. Le contentieux post-électoral fut plus long que le précédent. On parlait d’ « ordonnances » et je ne savais trop ce que cela signifiait. Mais les nerfs étaient tendus entre Me Ousmane Ngom, qui représentait le Pds et feu Mamadou Diop du Ps.

Par la suite, le juge Kéba Mbaye a démissionné et dans la foulée, l’assassinat de Me Boubacar Sèye, le samedi 15 mai. La lecture des journaux Sud et Walfadjiri, devenus quotidiens - si ma mémoire est bonne - avec l’ouverture de la campagne pour la présidentielle cette année-là, était ma passion et je les archivais aussitôt après. Je garde toujours en mémoire tous ces évènements tristes ayant préfiguré l’assassinat des policiers en février 1994.

Des décennies après, rien de changé sous le soleil ! L’esprit du Code consensuel de 1992 est trahi. On parle encore de « limitation des mandats », alors ce code appelé aussi Code Kéba Mbaye a été clair sur cette question. Abdou Diouf, après l’adoption dudit code, avait déclaré qu’il n’allait changer la « moindre virgule », mais en 1998, il a fait sauter non seulement les « virgules », mais aussi les « points virgules ». Abdoulaye Wade fera changer les « points d’exclamation et les points d’interrogation » et avec Macky Sall, c’est pire : en théorisant la suppression définitive de ce verrou sur la limitation des mandats, l’actuel chef d’Etat, en ne conservant que « les points de suspension » - parce que, comme Alexandre le Grand, il a le goût du pouvoir « infini » - veut enlever tous les signes de ponctuation qui sont pourtant aussi utiles pour la respiration du texte que pour celle de la démocratie quand ils structurent une Constitution.

C’est dire que l’on a régressé depuis 2012 ! Et la trahison de trop, c’est ce parrainage décidé unilatéralement en 2018 par un régime qui était prédisposé à une vision tragique de l’avenir de Macky Sall, dont la coalition n’obtint pas 50 % aux législatives de 2017.

Le problème du leader de l’Apr, c’est qu’il semble ignorer que les lois morales adoptées par la société sont celles qui inspirent les lois votées à l’Assemblée nationale par une majorité mécanique. Un mauvais arrangement vaut mieux qu’un bon procès ! Il fallait au moins un consensus de la classe politique préalablement au vote de la loi sur le parrainage. Comment le Sénégal peut-il réaliser le parrainage populaire aisément alors qu’une ancrée démocratie comme la France a dû abonner un projet similaire en 2013, parce que tout simplement l’idée n’est pas matériellement réalisable ?

Comme le passé éclaire le présent, votre humble serviteur prie le chef de l’Etat Macky Sall de se rappeler la date du 17 mai 1988, lorsque Abdou Diouf lança son fameux appel au dialogue, le jour de la Korité, alors que ses relations avec l’opposition étaient jusque-là polaires.

Il peut aussi se souvenir de « MAI68 ». Au lendemain de ces évènements, le président ultra-concentrationnaire Léopold Sédar Senghor, qui réalisa que le Sénégal ne peut pas être une dictature, opéra une réouverture démocratique et restaura le poste de Premier ministre, comme pour préparer son départ. Mais Macky a-t-il le génie du poète Senghor pour lire dans les courbes de la Providence les craintes des Augures ?

Par Thierno DIOP

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